Articolo di Benedetto Croce pubblicato su Mrelusine - Revue de Mytohologie, littérature populaire, Traitions et usages - 1 gennaio 1886
Le Plongeur
La légende du Plongeur à Naples.
Quand on passe par la ruelle du Mezzocanone pour se rendre au quartier du Port,
on voit, encastré dans
le mur d'une vieille maison, un
bas-relief qui représente un homme velu,
ayant l'air d'un sauvage, un long poignard dans sa main gauche.
C'est le portrait de Niccolo Pesce, dit le
peuple.
Et qui était Niccolo Pesce ?
"Niccolo Pesce était un homme étrange qui vivait dansles anciens temps à la cour d'un roi de Naples et
(1) A Ploeuc, depuis quelques années, les cultivateurs se
marient le vendredi, afin de diminuer les frais, et de ne donner aux conviés que de la soupe, du pain, du beurre et du cidre à
discrétion (Note de HABASQUE.) qui participait de la nature des poissons, c'est pourquoi on l'appelait
Nicolas Poisson.
Il pouvait se tenir de longues heures et de longs jours au fond de la mer sans qu'il eût besoin de respirer,
comme s'il se trouvait dans son propre élément. Le roi l'employa plusieurs fois à satisfaire ses caprices. Une fois, en particulier,
il voulut savoir comment était fait le fond de la mer, et Niccolo Pesce, après l'avoir examiné, vint lui dire qu'il était tout formé
d'un jardin de corail, que le sable était parsemé de pierres précieuses, que çà et là on rencontrait des amas de trésors, des
armes, des squelettes humains, des navires sombres, etc.
Une autre fois, le roi lui ordonna de rechercher comment l'île de Sicile se soutenait dans la mer, et Niccolo Pesce lui dit que
la Sicile reposait sur trois immenses colonnes dont une était brisée.
Une fois encore, il le fit descendre dans les grottes mystérieuses du Castel del
Ovo, et Nicolas reparut les deux mains pleines de
pierres précieuses. Voici comme il voyageait: Il se jetait dans la mer et se faisait engloutir par quelque grand
poisson et dans son ventre il parcourait en peu de temps des distances énormes.
Quand il voulait sortir, d'un couteau qu'il tenait à la main (c'est celui qui est figuré sur le bas-relief) il ouvrait le
ventre du poisson et, libre alors, il se livrait à ses recherches. Un jour, le roi voulut savoir jusqu'à
quelle profondeur Nicolas pouvait pénétrer au fond de la mer. Il jeta un boulet de canon dans les flots et l'invita à le rapporter.
— Majesté, répondit Nicolas, je m'y perdrai, je ne reviendrai jamais, mais si, vous le voulez, j'en ferai l'essai.
Le roi insiste. Nicolas alors se jette dans les ondes. Il court, il court sans relâche après le boulet et enfin réussit à l'atteindre.
Mais en relevant la tête il
vit au-dessus de lui les eaux qui le
couvraient comme un marbre sépulcral et s'étonna de
se trouver dans un espace vide, tranquille, silencieux
et sans eau. Il tenta en vain d'attendre de nouveau
les ondes et de reprendre sa course à la nage. Ainsi
enfermé, il mourut
(2).
C'est ainsi que se raconte la légende, avec plus ou moins de détails sur ce que Nicolas a vu et trouvé. Elle
mérite un instant d'examen. Et d'abord, l'image sculptée à l'entrée du Port n'a rien à faire avec elle. Le
mariage do l'image avec la légende s'est accompli à une époque relativement très récente. Suivant une vieille tradition,
qu'il n'y a pas de raison de mettre en doute, mais qu'on doit plutôt tenir pour vraie, cette image a été trouvée en creusant les
fondements du palais des seigneurs du Porto. Quand le palais fut achevé, suivant un louable usage, on l'encastra dans le mur, à main
gauche, et les seigneurs du Porto la prirent pour emblème. Gela eut lieu probablement au temps de Charles Ier d'Anjou, sous lequel on
prétend que le palais a été bâti, et les armes d'Anjou, un lion et cinq fleurs de lys, que l'on voit au haut de l'édifice, semblent l'attester.
Mais personne ne se donnait la peine de rechercher ce que représentait cette figure.
Le peuple l'appelait "un homme sauvage".
En 1592 seulement, Jules César Capaccio rapporta dans son
livre des "Emblèmes" (3) l'opinion d'un de ses amis qui y reconnaissait Orion, le dieu tutélaire des
mariniers:
"M'entretenant, dit-il, avec J. B.Rota, chevalier de l'esprit le plus distingué, de l'emblème qui se voit au
palais du Porto et qui représente un homme sauvage avec un poignard à la main, et dont personne ne pouvait me
donner l'explication, il me dit (et j'accepte son opinion) que c'était "Orion en armes", car Orion
était le dieu des marins, et ce lieu était occupé autrefois par le temple des pirates.
Les longs poils représentent les pluies d'Orion, comme la longue barbe de Pan , le dieu des pasteurs, figurait les
rayons du soleil".
Le même auteur reprend cette opinion dans son précieux livre de l'Étranger " (1), paru en
1634, et l'appuie de nouvelles preuves.
Les érudits de la fin du XVIIe siècle, Sarnelli, Gelano, Parrino, ne font que répéter le nom populaire de
l' ''homme sauvage" et
que reproduire la conjecture de Capaccio sans le nommer. Aucun ne fait allusion au nom de Niccolo Pesce,
Pourtant Gelano (4) fait mention d'une autre légende et dit:
"D'autres veulent que cet emblème ait été mis en ce palais parce qu'il apparut en ce lieu un homme marin qui
avait cette apparence, mais ce n'est qu'une fable".
La tradition d'aujourd'hui apparaît pour la première fois dans la description de Naples de Sigismondo
(5):
"Le peuple croit, dit-il, que c'est l'image de Niccolo Pesce, napolitain, célèbre nageur et marinier".
Les nobles du Porto transportèrent en 1742 le siège de leur seigneurie à l'Ospedaletto, et c'est à cette occasion
qu'ils firent mettre sur l'antique établissement de leur famille l'inscription que voici:
Curia Nobilium de Portu
heic ubi olim navium statio fuerat
fundata
inventoque in effossionibus Orionis signo
distincta
nunc sede in elegantiorem urbis regionem
translata
ne converso in privatos usus loco
longaîva vetustate facti fama aboleretur
reternum apucl seros nepotes testem
hune lapidera esse
voluit
Anno ocra Christ. MDCCXLII.
La légende avait pourtant un fond historique. Nous le trouvons dans les chroniques du XIII 0 siècle. Le frère Salimbene de Parme, dans son importante
Chronique imprimée en 1857 (6), fait, à l'année 4250, à l'occasion de la mort de l'empereur Frédéric II, l'éloge funèbre de
ce prince et énumère ses étrangetés de caractère, ses superstiliones, comme il les appelle; Quarta ejus superslilio fuit, sa quatrième bizarrerie,
dit-il, fut que souvent il faisait descendre un certain Nicolas contre sa volonté au fond de la mer, et, comme l'empereur voulait savoir si vraiment il parvenait jusqu'au
fond, il jeta une coupe d'or à l'endroit où il croyait que la mer était le plus profonde, et Nicolas la rapporta. Comme il voulait le faire redescendre, Nicolas lui dit:
- Ne me le demandez pas, car je n'en reviendrais plus".
L'empereur insista, et il périt.
Le fond était, disait-il, tout rempli d'écueils et de navires brisés.
Ce Nicolas était sicilien; il avait une fois gravement offensé et irrité sa mère qui le maudit et le condamna à
toujours habiter les eaux et à rarement paraître à terre. Ce que je viens de dire, je l'ai entendu raconter cent et cent fois par les religieux de Messine qui étaient mes
grands amis. J'ai encore dans l'ordre des frères mineurs un mien frère consanguin, Giacomo di Cassio,
de Parme, qui habitait dans la cité de Messine et qui m'a rapporté
ces choses.
Salimbene était crédule, mais sincère et véridique, et l'histoire qu'il raconte sur de si bonnes autorités n'a rien que de vraisemblable.
Avec Frate Pipino commence la transformation de l'histoire en légende. Le frère Pipino, de Bologne, vivait aux environs de l'an 1320, et sa chronique a été
publiée par Muratori dans le tome IX de sa grande collection
(7).
Un chapitre est intitulé: "De Nicolao Pisce". Après avoir parlé de
certains événements arrivés en l'an 1239, le chroniqueur ajoute:
"Vers ce temps naquit au royaume de Naples Niccolo Pesce. Depuis son enfance, il ne se plaisait que dans les
eaux et sa mère, irritée de cela, lui donna sa malédiction en le condamnant à ne plus pouvoir vivre sur terre.
Il en arriva ainsi. Toujours il vivait avec les poissons et il ne pouvait séjourner hors des eaux. Il apparaissait aux navigateurs et leur prédisait les tempêtes en leur racontant les
secrets qu'il avait découverts au fond de la mer. Il disait que l'anguille est le plus grand poisson et
qu'entre la Sicile et la Calabre il y a une mer très profonde. L'empereur Frédéric s'entretint avec lui et jeta
une coupe d'argent au fond de la mer en l'engageant à aller la chercher. Niccolo répondit : Si je descends, je
ne reviendrai pas. Néanmoins il accepta de faire l'expérience, mais il n'apparut plus aux yeux des hommes. Je
me souviens que, quand j'étais enfant, j'ai entendu les mères, pour faire peur à leurs enfants qui criaient,
leur parler de Niccolo Pesce".
En 1608, fut imprimé à Barcelone l'opuscule dont je trouve l'indication dans le Supplément de Brunet
(8), mais hélas! avec ces mots: "Pièce d'une très grande rareté".
En voici le titre: "Relacion de como el Pece Nicolao se ha parecido de nuevo en el mar, y hablo con muchos
marineros en deferentes partes, y de las grandes maravillas que le conto de secretos importantes a la navegacion.
Este pece Nicolao es medio hombre y medio pescado, cuya, figura es esta que aqui va retratada En Barcelona, por
Sébastian de Cormellos al Call, Ano de 1608. Vendeuse en la mesma emprenla. In-4° de 4 feuillets, avec figure sur bois, signature A".
C'était sans doute quelqu'un de ces petits livres populaires comme il s'en imprime encore aujourd'hui
(9).
Il n'est pas nécessaire de répéter ici le récit que le
P. Kircher a conservé dans son Mundus subterraneus
et qu'il dit avoir tiré des Archives royales, dont le secrétaire le lui avait communiqué.
Niccolo Pesce a fourni le sujet d'un drame au célèbre baron Cosenza, et d'un épisode d'un roman de G. T. Dalbono. Le drame de Cosenza, "représenté pour
la première fois sur le théâtre Fiorentini de Naples par la compagnie royale Fabbrichesi, le soir du 23 octobre 1848 ", est, il faut le dire, fort naïf. Cosenza, suivant la donnée erronée de Sigismond et d'autres auteurs, met le fait au temps des rois aragonais et non de Frédéric
de Souabe. "J'ai formé le thème de ma pièce, dit l'auteur, en mêlant la singulière apparition de cet homme à l'alliance conclue le 19 août 1302 entre Frédéric d'Aragon
et Charles II de Naples".
Nous épargnons au lecteur les tirades boursoufflées du dramaturge napolitain.
Messine était assiégée par les Vénitiens. Le gouverneur au nom du roi Frédéric d'Aragon, Rainulfo, était un traître et s'entendait
avec les ennemis. Niccolo Pesce, héros patriote, fait tout pour éventer les trames perfides du scélérat, mais il est lui-même accusé
perfidement d'intelligence avec les Vénitiens et condamné à mort. Il se sauve par son habileté à nager. Après mille aventures,
Rainulfo est tué par la femme de Niccolo Pesce et Niccolo Pesce sauve sa patrie
"Voci: Viva Niccolo Pesce! — Tutti: Viva".
L'épisode de Dalbono se lit dans son roman "Vizii e virtù d'illustri famiglie",
mais l'estime qui est due à un homme honorable à d'autres titres commande ici le respect
des fils de Noé et interdit de rendre compte de son malheureux essai de littérature romantique.
Benedetto CROCE
Rome, juin 1885.
(1) Note : La vivente versione popolare, l'ho trascrilla, senza nulla alterare, da una communicazione da un mio amico.
(2) Belle Imprese, Naples, 1583, 1. II, p. 26.
(3) Il Forestière, Dialoghi, Naples, 1634, p. 86.
(4) Délie Notiue di Napoli, Naples, 1691, IVe jour, p. 57.
(5) G. Sigismondo, Descrizione di Napoli, Naples, 1788, t. II, p. 193.
(6) Chronica F. Salimbene Parmensis Ord. Min. Parme, 1857, p. 168.
(7) ChroniCon FraTris Pipini Bononiensis ab a. 1176 ad a. cirC. 1343. Rer. ital. Scriptores, t. IX, col. 669.
(8) Supplément au Manuel du Libraire, Paris, 1880, t. II, p. 23.
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www.colapisci.it
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